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Droit administratif comparé

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Droit administratif comparé
robes-rouges
Une présentation succincte du champ et de l'intérêt du droit administratif comparé

Le 5 décembre 2012

De la même manière que le recentrage du droit public sous le paradigme de l'Homme et ses droits naturels et imprescriptibles a métamorphosé le droit constitutionnel, il a changé le droit administratif en profondeur. Du concept de « puissance publique » qui structura la discipline au 20e siècle, qui en a même défini l'esprit, il ne reste plus que le critère de compétence de la juridiction administrative. Ce n'est pas le lieu, ici, de s'interroger sur la question de savoir s'il doit y avoir une adéquation entre la définition d'une discipline et le critère qui en attribue le contentieux à certaines juridictions et pas à d'autres, mais il est douteux qu'ils soient radicalement étrangers l'un à l'autre. 

À l'étranger, le droit administratif s'organise autour d'autres valeurs que la puissance publique. Ces valeurs gravitent autour, non de la puissance d'État, mais autour de l'homme et de ses droits et libertés. C'est vrai en Angleterre où le juge anglais a construit le droit administratif anglais autour du concept de « natural justice », notion de common law qu'il a nourri des valeurs de la Convention européenne des droits de l'homme.  C'est vrai aux États-Unis où le juge américain, bousculé par la doctrine qui ne se satisfait plus de la procédure régulière de droit (procedural due process of law) entendue d'un point de vue formel, est invité à développer le droit administratif à partir de « public law values », donc, à revenir d'une certaine manière à une période honnie de l'histoire juridique des États-Unis - le gouvernement des juges - quand la Cour suprême gouvernait le pays au moyen de la procédure régulière de droit entendue d'un point de vue matériel (substantive due process). C'est vrai enfin, en Allemagne, où les priorités du juge administratif ne sont plus celles de la puissance publique (Staatsgewalt), mais celles des droits fondamentaux inscrits dans la Loi fondamentale, autrement dit, les droits subjectifs des administrés. Enfin, c'est également vrai en Amérique Latine où les aspirations des peuples ont généralisé dans les 20 dernières années l'usage effectif de l'action publique en violation des droits individuels, où la Cour interaméricaine des droits de l'homme a posé un socle de principes communs qui reçoivent des déclinaisons jusque dans le contentieux administratif des différents États, où certaines cours constitutionnelles font preuve d'un activisme poussant les gouvernements à donner un contenu majeur à certains de ces droits, comme en Colombie.

Ces grandes mutations ont été introduites en droit français, notamment via le droit européen qui les a réceptionnées, assimilées et réexportées, mais elles n'ont peut-être pas été suffisamment conceptualisées. Le CDPC inscrit résolument son action dans le cadre de telles recherches parce que ses membres partagent la conviction que c'est l'analyse comparative qui renouvellera la doctrine française en droit administratif et qui permettra de comprendre les grands changements qui ont déjà affecté et affecteront de plus en plus les procédures et le périmètre de l'action administrative.

I - Les procédures administratives

Longtemps, les procédures administratives se déclinèrent sous le paradigme de la puissance d'État (privilège de la décision exécutoire, prérogative de puissance publique, fait du prince, pour ne citer que les plus illustres). Le juge administratif français lutta sans relâche pour en limiter les effets sur l'individu. Pénétré de ce souci, il a écrit arrêt après arrêt les grandes pages du droit administratif. Mais c'est après 1945 que les plus belles de ces pages furent écrites quand, sous l'influence d'idées venues d'ailleurs, notamment d'outre-Rhin et d'outre-Manche, le juge a puisé dans l'analyse comparative pour améliorer ses techniques de contrôle (contrôle de proportionnalité) et renforcer ses pouvoirs de décision jusqu'à faire introduire sous la forme du référé-liberté le pouvoir d'injonction, ce pouvoir d'ordonner aux agents de l'exécutif de faire quelque chose et qui signe l'exceptionnelle autorité du juge en common law.

L'étude des solutions contentieuses acquises à l'étranger ouvrira d'autres horizons en montrant comment le droit administratif français a été travaillé par des vents venus d'ailleurs, et comment il a en retour enrichi certains droits étrangers, notamment le droit anglais. Il faut éduquer les juristes français à penser le droit administratif hors des frontières et à exporter les méthodes de contrôle du juge administratif français souvent bien supérieures à celles de ses homologues étrangers ; il faut les instruire dans une culture comparatiste. Cette nouvelle approche est nécessaire parce que le droit administratif pose partout des questions similaires de contrôle des faits, de contrôle de légalité, avec toujours à la clé la marge de pouvoir discrétionnaire qu'il convient de laisser aux autorités administratives. De cette ouverture sur l'étranger ne peut naître que de nouvelles avancées.

Bien plus encore que les procédures contentieuses, ce sont les procédures non contentieuses qui ont été révolutionnées par l'apport des droits étrangers. Sous l'influence d'idées venues des États-Unis, elles sont devenues plus réceptives aux exigences du droit constitutionnel. Il est significatif que des concepts comme ceux de participation et de délibération qui étaient constitutionnels d'origine, aient été importés en droit administratif et y soient considérés comme de nouvelles exigences. 

L'interface entre les deux disciplines, droit constitutionnel et droit administratif, est encore trop peu étudiée. Le CDPC entend l'approfondir par l'analyse comparative en posant de grandes questions, insuffisamment travaillées en France, comme celle du pouvoir administratif. Celui-ci, exercé à travers l'instrument de l'action administrative qu'est l'autorité administrative indépendante, souffre certainement dans notre pays d'un manque de conceptualisation comme le Conseil d'État l'a signalé dans son dernier rapport public de 2012. L'autorité administrative indépendante est née aux États-Unis à la fin du 19e siècle du besoin d'échapper aux vicissitudes de l'emprise des partis politiques sur la fonction exécutive. L'indépendance qu'on lui a reconnue et qui était autrefois parée de toutes  les vertus suscite aujourd'hui bien des interrogations. Quelle est la place de ce pouvoir administratif dans la démocratie constitutionnelle ? Quelle est sa relation au pouvoir exécutif ? Comment doit-il se concilier avec la démocratie participative ? Quels sont ses effets sur la démocratie politique dont il menace l'existence ? Ces questions ne se posent pas seulement au niveau national, elles rejaillissent au niveau européen où c'est l'étude comparative qui permettra de faire avancer la connaissance sur les atouts et les faiblesses des procédures administratives de l'Union européenne. 

II - Le périmètre de l'action administrative

Menée en parallèle avec le bouleversement des procédures, l'extension du périmètre de l'action administrative ouvre un immense champ de recherche à l'analyse comparative. Située à la jonction du gouvernement et de la société, les autorités administratives étendent tous les jours leur gouvernance, renouvelant leur action et diversifiant leurs méthodes selon les pays, poussée partout par la théorie économique néo-libérale dominante et ses applications en droit public, notamment l'analyse économique du droit et la théorie des choix publics. Les méthodes administratives en ont été modifiées en profondeur, d'abord dans les pays de common law, puis en Europe continentale et enfin dans les pays émergents à la faveur des recommandations du Fonds monétaire international ou de la Banque mondiale. 

Tous les pays sont confrontés à l'exigence de régulation. Celle-ci évolue d'abord avec les techniques. Dans cette perspective, il serait utile de mener une analyse comparée des mécanismes d'ajustement du droit de la régulation à l'évolution des nouvelles technologies. Ce serait une manière d'illustrer la question des nouveaux rapports entre droit, science et technique. La régulation s'impose ensuite à différents niveaux géographiques, local, régional, national, et aujourd'hui continental.  La régulation multi-niveaux pose des questions d'administration territoriale et d'articulation des compétences entre communautés nationales et collectivités locales, qui méritent d'être étudiées dans des perspectives comparatives à la lumière, notamment dans le cadre européen, de l'exigence de subsidiarité.  

Une autre question de grande importance en droit public comparé est la séparation du public et du privé. Les privatisations menées au pas de charge dans les pays de common law, puis étendues aux pays d'Europe continentale et imposées aux pays émergents, lui ont redonné une nouvelle jeunesse. Aux États-Unis comme en Angleterre, elles ont réveillé parmi les juristes l'intérêt pour le droit public et ses valeurs. Le passage de nombreuses activités de l'État au marché leur a fait prendre conscience bien plus qu'auparavant des valeurs de droit public. Jusqu'où l'État peut-il se désengager ? Faut-il établir des gradations selon les secteurs privatisés, ceux dont l'État peut sortir complètement, ceux dans lesquels il doit rester présent, en gardant dans certains cas la haute main sur l'activité privatisée (par une golden share, comme disent les auteurs anglo-saxons), et ceux dans lesquels il doit refuser aux entreprises privées la possibilité de mener leur opérations hors des contraintes du droit public ? Il y a là des champs de réflexion que les administrativistes français ont un titre à occuper.

Récemment, des initiatives révélatrices des penchants du monde de la common law pour les valeurs du droit public se sont faites jour avec la réhabilitation du concept de citoyenneté qui imposent des devoirs au citoyen (comme celui de supporter une charge financière, une taxe, s'il veut échapper à des obligations d'intérêt général) et des responsabilités à l'État (comme celle qui consiste à assumer des obligations positives).  La citoyenneté est-elle une limite à l'abandon au secteur privé de services qui étaient autrefois délivrés par l'État comme l'instruction scolaire ou l'assurance vieillesse ? Serait-elle un motif pour responsabiliser l'individu devant les charges communes ? La question se pose déjà à l'étranger, notamment aux États-Unis, et il n'est pas exclu qu'elle se pose en France et en Europe, dans certains domaines comme celui de l'éducation supérieure ou celui de la santé. 

Enfin, l'action administrative s'étend aujourd'hui par des procédés qui empruntent beaucoup aux enseignements de l'analyse économique. Les autorités publiques contraignent de moins en moins, sauf dans des secteurs bien définis, souvent liés au droit de propriété (impôts et expropriation), et elle incite de plus en plus. À partir de quel moment une incitation financière devient-elle contrainte ? Les limites qu'elle impose à la liberté de choix sont des thèmes de réflexion qui méritent d'être enrichis par des comparaisons de pays à pays.